Le
pigeon et l’assemblée
Petit conte animalier
Ce conte est en partie une histoire vraie ayant eu lieu le 06 juin 06, en
Chiraquie occidentale…
Lors d’un bel après midi du mois
de juin, dans un doux pays fleurant bon la démocratie, un oiseau jeune et naïf
vint à s’égarer dans la cage des crocodiles. Pensant trouver un endroit pour
reposer ses ailes et installer son corps de plumes pour une douce sieste, le
pigeon entra sous le grand dôme de l’antre législatif.
Les étages étaient vides et for
confortables. Il délassa ses plumes et s’en alla dans les nuages et les cieux
des rêves.
Des hurlements le réveillèrent.
Ce n’étaient que Claquements de dents, hululements, bêlements, cris, bruits,
tapotements, aboiements, crissements…
Les crocos raidis de la
république accompagnés de leurs acolytes à tête de hyène, de poule, d’autruche,
de rhinocéros, de poulpe… venaient de prendre place pour leurs joutes
habituelles. En effet, ces drôles de bestioles se réunissent plusieurs fois par
semaine pour se hurler à la gueule de nombreux mots d’oiseaux puis se
réconcilient avec cigares et rires dans les bureaux de l’étage.
Le pigeon sentit ses plumes
frissonner. Son bec tremblait au rythme saccadé de la musique démocratique. Il
prit son envol comme un nourrisson tombe du nid. Il planait au-dessus de la
mêlée politique. Il demeurait invisible aux yeux des fauves et des reptiles. Il
profitait de ne point être repéré pour observer un peu l’assemblée et trouver
une issue, comprenant aisément que la place ressemblait plus à présent à un
traquenard qu’au havre de paix escompté.
Mais ses tentatives furent bien
vaines. Par où donc avait bien put-il entrer tout à l’heure ? Etait-ce par
cette fenêtre ? Ou bien de cette porte ? Mais tout était fermé à
présent. Ce fut un jeune député d’un
département inconnu de tous qui le premier remarqua le ballet de l’oiseau
citadin.
Il s’ennuyait ferme au milieu des
dinosaures bien trop occupés à ronger leurs sempiternels os pour faire
attention à ce jeune loup. Le jeune député se demandait bien ce qu’il était
venu faire dans cette galère. Lui était entré en politique comme d’autres au
séminaire, serti d’une foi mystique en l’homme et en l’art Politique. Il
croyait en l’utopie, au possible changement, au poids démocratique. Il
suffisait de vouloir pour demain pouvoir. Il avait débarqué au sein de
l’assemblée avec l’envie juvénile de tout chambouler, de révolutionner
l’appareil de l’intérieur. Dégraissons ce mammouth ! Apportons-lui une
nouvelle jeunesse. Oui, la politique est l’affaire de tous et pas d’une élite
‘éna-sienne’… nous pouvons changer le monde si nous le désirons.
Deux ans ont suffi, ont eu raison
de lui, de ses illusions, de sa jeunesse. Le jeu politique avait tout broyé et
mastiqué puis rejeté. Deux ans et il se trouvait vieux en se croisant dans la
glace. Même ses idéaux avaient vieilli prématurément.
Il paressait donc, attendant un
monde nouveau qui ne viendrait plus, les yeux perdus dans un horizon qu’il ne voyait plus.
Une forme fila. Avait-il
rêvé ? Pourtant il avait bien vu
quelque chose bouger là-haut, là où d’habitude il ne voyait que sa petite vie
et sa grande inutilité se reflétaient sur les bois et les dorures.
Un deuxième passage. Il put presque
suivre la forme des yeux cette fois. Il l’avait vu voler d’un mur à l’autre.
Concentrons-nous. Regardons mieux. Là ! Le voilà.
Il vit nettement un volatile aux
plumes grises tournoyer dans le faux ciel de ses rêveries. Il reconnut l’espèce
et l’envia aussitôt. Il semblait si libre à voler ainsi… Il voulait lui voler
sa liberté, soit pour la faire sienne, soit pour la supprimer. « Si je ne
suis pas libre pourquoi lui le serait-il ? » Ainsi sont les hommes.
Projeter leurs espoirs de libertés sur des animaux qui n’en connaissent même
pas le concept. Seul un homme peut voir de la liberté dans la quête de ce
pigeon à la recherche d’une sortie. Mais les hommes ont l’habitude de connaître
la liberté en cage… n’enferment-t-ils pas leurs animaux de ‘compagnie’…
Le petit député aux dents de lait
avait donc un petit secret. Il était seul à voir l’oiseau. Et comme tout
secret, il faut le dire à tout le monde. Pour une fois qu’il serait entendu par
ces voisins rabougris. A ses cotés, une vieille loutre prenait quelques notes
des débats. Où était-ce une liste de course, des mots croisés, une lettre à un
ami… quelle importance !
Le petit député pencha la tête
vers elle, sans trop se faire remarquer, comme il l’avait si bien appris sur
les bancs du lycée pour ne pas que le maître ne puisse le voir. Il montra le
tas de plumes argentées en vol.
« Regardez. Voilà le seul
d’entre nous qui arrive à passer
au-dessus des clivages politiques. ».
Il pouffa de son mot. La loutre
ne ria pas. Elle scrutait longuement, abandonnant ses travaux d’écritures. Elle
passa le message à son tour. Comme une traînée de poudre cocaïnique, les
animaux des travées du fond levèrent la gueule vers l’invité à plumes. Ceux des
tranchées du milieu les accompagnèrent, avant que les premiers rangs ne firent
de même.
Le brouhaha institutionnel laissa
place à l’observation silencieuse.
Les ministres, les animaux les
mieux habillés assis en bas de l’hémicycle, se contorsionnaient pour participer
à la fête. Seul le président des crocos n’avait encore rien vu. Le président
est souvent élu à l’ancienneté, considéré comme plus sage… chez ces bestiaux,
la sagesse est proportionnelle à l’âge des artères, du moins c’est ce qu’ils
font croire au reste de la jungle.
Donc, seul le président des Lacoste n’avait pas encore compris le
manège des grues en train de viser le pigeon. Interrogeant de son grand menton
avancé ses collègues sans l’ombre d’une explication, il se résolut à lever à
son tour sa lourde tête. Il vit la volaille des villes. Et cela ne le fit pas
rire du tout. Ne l’émerveilla pas plus.
Il s’offusqua. Ce n’était pas
dans les procédures, pas dans les textes. Il fallait agir, et au plus vite.
« Statuons sur l’intrus. Discutons. Rédigeons. Votons. »
Il décida donc de former une
commission. Son but : codifier l’avenir de cet empêcheur de causer en
rond.
La commission fut formée dans
l’heure. Toutes les composantes politiques de l’hémicycle y participaient. Ils
s’enfermèrent dans une petite salle surchauffée et se mirent au travail… enfin
plutôt, ils discutèrent des heures durant.
Le pigeon se fatiguait. Il se
tenait fièrement sur l’une des dorures du décor parlementaire, toisant de son
petit bec ce public étonnant et inquiétant. Les crocos, phoques, grizzlis et
rhinocéros, dans une file indienne encadrée par les loutres, passaient à tour
de rôle pour photographier, téléphoner, imprimer l’animal. Tous se
mélangeaient, se bousculaient.
« Il faut prendre une
décision ! C’est à vous qu’elle incombe. Nous ne reprendrons pas le
travail avant que ce problème ne soit pas résolu. A votre tâche. Vous devenez
la priorité des priorités. »
Le grand sage, plus vieux des
singes, avait parlé et avait laissé la commission commissionner.
Un grand cerf sans âge présidait
cette réunion extraordinaire :
« Chers collègues, le
problème est simple. Nous avons pu voir l’intrusion commise ce matin dans le
sacro-saint hémicycle de la représentation nationale. Ceci n’est pas tolérable.
Je dirai même plus : c’est intolérable. Il montre ostensiblement son
oisiveté et met ainsi en danger notre labeur démocratique dont on connaît
l’importance pour la survie même de notre si noble nation. On ne peut laisser
ce personnage parader au-dessus de nos têtes. Pour le moment aucun drame n’a eu
lieu, mais qui peut dire que cela tiendra la journée ?
Ce volatile peut en effet à tout
moment piquer sur nous et nous attaquer. Rien ne prouve sa bienveillance. Il
est peut-être muni d’appareil d’espionnage téléguidé par on ne sait quel
groupuscule anarchiste ou extrémiste religieux. Imaginez demain un pigeon piégé
venant attaquer les symboles du pouvoir de notre grand Etat.
Même sans tracer un tableau si
funeste, nous ne sommes pas à l’abri d’une défécation for dangereuse mettant en
péril nos réputations et ainsi nos réélections futures. L’image de vos vestons
tâchés par des coulées blanchâtre diffusée en boucle sur les médias serait
terrible. Voyez-vous un candidat aux plus grandes instances se justifier de
cette séquence troublante, passant en cycle sur toutes les chaînes
d’information continue. Qui arriverait à faire oublier un amas crasseux posé
sur son crâne dégarni passant dans toutes les émissions de divertissements et
autres zapping ?
Non, c’est intolérable. Je vous
le dis ! Nous devons agir. J’écoute donc vos propositions. »
Il s’assit. Par habitude, la
basse-cour applaudit le bel homme qui venait de bramer.
Le député ‘écololoco’ à la tête
d’autruche fut le premier à glapir.
« Excusez-moi chers
confrères, mais il semble que nous soyons les plus à même à répondre. En effet,
notre parti est le spécialiste des volatiles en tout genre. Nous sommes tout de
même le parti de l’environnement durable, protection des animaux et de tout le
reste. Et nous pouvons proposer, moi et mon collègue présent à mes côtés, une
proposition avantageuse pour nous débarrasser au plus tôt de l’indésirable. Il
suffit de le convaincre que sa place n’est point ici. Parlementons,
amadouons-le avec des graines pour commencer puis invitons-le au dehors pour
discuter »
« Entièrement d’accord cher
collègue, s’empressa de répondre son voisin de parti, mais ne faudrait-il pas
mieux lui apporter du maïs ? Ça mange quoi un pigeon ? »
« Du maïs, excusez-moi cher
collègue mais vous n’êtes pas entier ? Du maïs ! Vous voulez faire
entrer les OGM dans l’assemblée. Et pourquoi pas du riz modifié tant que
vous y êtes ! »
« Mais du maïs pour
volatile, du maïs bio »
« Du maïs bio, vous me
faîtes rire l’ami ! Et vous le ferez venir comment jusqu’au centre de
Paris ? Par camion ! Il n’est pas près de venir… »
Et voilà les deux autruches qui
s’affrontent du bec comme si seul leur parti existait. Ils s’aboient à la
gueule, crient, s’affrontent, se réconcilient, organisent un vote démocratique,
arrive à égalité, re-aboient, re-crient, se toisent, recomptent les votes,
re-votent, recommencent et finalement partent de la salle pour former deux
sections différentes afin de mieux démocratiser leur parti.
Les autres députés regardèrent la
scène avec étonnement, effarement. La porte se referma sur les drôles d’animaux
écolos et la discussion put reprendre.
Les hyènes se déchaînèrent :
« Mais comment osez-vous
discuter d’une telle chose ! C’est pourtant simple. Non seulement le
bestiau est entré sans autorisation chez nous, il est donc de fait un oiseau
immigré, mais en plus je suis à peu près sûr qu’il n’a pas de papier. On doit
faire un exemple ! »
« Mais voyons cher collègue.
Un peu de retenue. Une intrusion et vous voulez envoyer les chars ! Il
s’agit peut-être d’un pigeon français qui se serait égaré … » lui fit
remarquer le camp des Kangourous.
« La formule est facile…
encore un pauvre moineau venant des banlieues, victime de la crise et du
chômage. Mais réveillez-vous. Ce sont des racailles. Il faut karsheriser TOUS
les pigeons de Paris… »
« Mais vous êtes fous.
Laissons ce pauvre petit et tâchons de le libérer. »
« Et pourquoi ‘petit’ ?
Pourquoi pas ‘petite’ ? Parité cher ami. Il peut très bien être une
pigeonne. » S’indigna une chienne en garde.
« Mais où allez-vous… qu’il
soit comme ceci ou comme cela, quelle importance »
« Ah ! Si. C’est
important. »
« Appelez les CRS »
« Manquerait plus qu’il soit
homo le pigeon »
« Faut tout
nettoyer !!! »
Le débat s’envenima. Les insultes
volèrent. Les noms d’oiseau remplacèrent les possibles solutions…
Le camp des pacifistes, voulant capturer
l’animal pour le relâcher, s’opposait à celui des méfiants, voulant juger
l’animal voir l’inculper pour son méfait, et au camp plus tranché :
« Exterminons-le ! Et vite ! Faisons une loi pour empêcher
une nouvelle intrusion dans notre local ! Il en va de la sauvegarde de
notre régime. »
En revanche, tous se retrouvaient
sur ce dernier point. Il ne fallait pas que cela puisse recommencer. Que les
voitures des pauvres brûlent en périphérie, passe encore. Mais être attaqué sur
son propre lieu de résidence de travail, s’en est trop pour nos chers
représentants. La réplique est donc très claire : un périmètre de sécurité
devra être instauré tout autour des bâtiments de la république, et aussi des
villégiatures de province. Aucun volatile non autorisé ne pourra désormais
franchir les cordons de sécurité sans avoir plusieurs fois montré aile blanche.
Il restait à s’occuper du cas de
pigeon récalcitrant qui était pour l’heure en train de salir les dorures de la
république par ses plumes et ses ennuis gastriques.
Certains hommes à l’extérieur
ayant appris cette nouvelle étonnante militaient, ‘banderolaient’ pour une pure
et simple liberté pour l’animal. Après tout il avait le droit de voyager dans
les couloirs de la république, comme pour tout citoyen. Mais bon, pas de souci
pour les députés, ces personnes là n’étaient pas élues et n’avaient donc pas
droit à la parole, alors pourquoi se fatiguer à les écouter.
La solution d’un filet fut
approuvée par une certaine majorité. La finalité de l’opération n’était pas
encore très claire. Liberté ? Tôle ? On verrait plus tard !
La commission vota, se
congratula, se félicita pour tant de sagesse, but à la santé de la bonne
solution, puis partit en rang, bien droit, annoncer leurs versions fort
différentes aux médias qui se pressaient sur le perron.
Au bout de trente-cinq minutes de
flashs crépitants et de micros tendus, les commissionnaires se rappelèrent de
la raison de leurs travaux et vinrent annoncer les résultats de leurs
discussions.
Les secrétaires et les hommes de
sécurités se mirent à la recherche d’un filet assez conséquent pour la capture
de Mr le Pigeon. Lui, passant d’une dorure à un siège, du siège à un
chandelier, du chandelier à une balustrade, de la balustrade à une dorure,
regardait s’animer cette drôle de fourmilière. C’est vrai qu’elle est étrange
cette race de bipède. Les voilà se présentant avec de grands attrape-papillons.
Oh ! Ils veulent jouer…
C’est donc par jeu que le
volatile passa plusieurs fois à proximité des filets et des têtes lustrées de
députés. Quel amusement ! Mais plus il prenait du plaisir, plus les hommes
s’impatientaient, rougissaient de colère. Et ce n’est pas les caméras venant
filmer les nombreux camouflets infligés à nos décisionnaires par un simple bout
de volaille qui allait arranger la situation.
C’était trop. Les nerfs
lâchèrent. Un jeune homme pressé, celui-là même qui quémandait la mise à mort
de l’animal depuis le début de l’affaire, prit une carabine des gardes
forestiers présents, gardes ministériels dans le civil, et abattu la pauvre
bête d’une balle dans l’œil droit. Sa chute fut lente. Il n’eut à peine le
temps de comprendre que plus jamais il ne profitera du soleil sur ses plumes,
du roucoulement de son amie.
Le public amassé regarda. Les
pacifistes, résignés, rangeaient déjà les filets inutiles. Certains
applaudissements fleurirent. Pas nourris, mais présents.
On évacua la bête morte. Après
quelques photos prises de cette belle prise de chasse, on jeta l’animal dans
une des poubelles de la République. Les crocodiles purent reprendre place. Ils
étaient soulagés. Pas une larme ne coula. Ils avaient déjà oublié.
Seul le petit député regardait le
plafond de l’assemblée avec nostalgie. N’avait-il pas vu bouger quelque chose
là-haut ? Peut-être juste quelques bribes d’un ancien espoir…