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2 janvier 2007

Le pigeon et l’assemblée

Le pigeon et l’assemblée

Petit conte animalier

pigeon

Ce conte est en partie une histoire vraie ayant eu lieu le 06 juin 06, en Chiraquie occidentale…

Lors d’un bel après midi du mois de juin, dans un doux pays fleurant bon la démocratie, un oiseau jeune et naïf vint à s’égarer dans la cage des crocodiles. Pensant trouver un endroit pour reposer ses ailes et installer son corps de plumes pour une douce sieste, le pigeon entra sous le grand dôme de l’antre législatif.

Les étages étaient vides et for confortables. Il délassa ses plumes et s’en alla dans les nuages et les cieux des rêves.

Des hurlements le réveillèrent. Ce n’étaient que Claquements de dents, hululements, bêlements, cris, bruits, tapotements, aboiements, crissements…

Les crocos raidis de la république accompagnés de leurs acolytes à tête de hyène, de poule, d’autruche, de rhinocéros, de poulpe… venaient de prendre place pour leurs joutes habituelles. En effet, ces drôles de bestioles se réunissent plusieurs fois par semaine pour se hurler à la gueule de nombreux mots d’oiseaux puis se réconcilient avec cigares et rires dans les bureaux de l’étage.

Le pigeon sentit ses plumes frissonner. Son bec tremblait au rythme saccadé de la musique démocratique. Il prit son envol comme un nourrisson tombe du nid. Il planait au-dessus de la mêlée politique. Il demeurait invisible aux yeux des fauves et des reptiles. Il profitait de ne point être repéré pour observer un peu l’assemblée et trouver une issue, comprenant aisément que la place ressemblait plus à présent à un traquenard qu’au havre de paix escompté.

Mais ses tentatives furent bien vaines. Par où donc avait bien put-il entrer tout à l’heure ? Etait-ce par cette fenêtre ? Ou bien de cette porte ? Mais tout était fermé à présent. Ce fut un jeune député d’un département inconnu de tous qui le premier remarqua le ballet de l’oiseau citadin.

Il s’ennuyait ferme au milieu des dinosaures bien trop occupés à ronger leurs sempiternels os pour faire attention à ce jeune loup. Le jeune député se demandait bien ce qu’il était venu faire dans cette galère. Lui était entré en politique comme d’autres au séminaire, serti d’une foi mystique en l’homme et en l’art Politique. Il croyait en l’utopie, au possible changement, au poids démocratique. Il suffisait de vouloir pour demain pouvoir. Il avait débarqué au sein de l’assemblée avec l’envie juvénile de tout chambouler, de révolutionner l’appareil de l’intérieur. Dégraissons ce mammouth ! Apportons-lui une nouvelle jeunesse. Oui, la politique est l’affaire de tous et pas d’une élite ‘éna-sienne’… nous pouvons changer le monde si nous le désirons.

Deux ans ont suffi, ont eu raison de lui, de ses illusions, de sa jeunesse. Le jeu politique avait tout broyé et mastiqué puis rejeté. Deux ans et il se trouvait vieux en se croisant dans la glace. Même ses idéaux avaient vieilli prématurément.
Il paressait donc, attendant un monde nouveau qui ne viendrait plus, les yeux perdus dans un horizon qu’il ne voyait plus.

Une forme fila. Avait-il rêvé ? Pourtant il avait bien vu quelque chose bouger là-haut, là où d’habitude il ne voyait que sa petite vie et sa grande inutilité se reflétaient sur les bois et les dorures.
Un deuxième passage. Il put presque suivre la forme des yeux cette fois. Il l’avait vu voler d’un mur à l’autre. Concentrons-nous. Regardons mieux. Là ! Le voilà.

Il vit nettement un volatile aux plumes grises tournoyer dans le faux ciel de ses rêveries. Il reconnut l’espèce et l’envia aussitôt. Il semblait si libre à voler ainsi… Il voulait lui voler sa liberté, soit pour la faire sienne, soit pour la supprimer. « Si je ne suis pas libre pourquoi lui le serait-il ? » Ainsi sont les hommes. Projeter leurs espoirs de libertés sur des animaux qui n’en connaissent même pas le concept. Seul un homme peut voir de la liberté dans la quête de ce pigeon à la recherche d’une sortie. Mais les hommes ont l’habitude de connaître la liberté en cage… n’enferment-t-ils pas leurs animaux de ‘compagnie’…

Le petit député aux dents de lait avait donc un petit secret. Il était seul à voir l’oiseau. Et comme tout secret, il faut le dire à tout le monde. Pour une fois qu’il serait entendu par ces voisins rabougris. A ses cotés, une vieille loutre prenait quelques notes des débats. Où était-ce une liste de course, des mots croisés, une lettre à un ami… quelle importance !
Le petit député pencha la tête vers elle, sans trop se faire remarquer, comme il l’avait si bien appris sur les bancs du lycée pour ne pas que le maître ne puisse le voir. Il montra le tas de plumes argentées en vol.

« Regardez. Voilà le seul d’entre nous qui arrive à passer au-dessus des clivages politiques. ».

Il pouffa de son mot. La loutre ne ria pas. Elle scrutait longuement, abandonnant ses travaux d’écritures. Elle passa le message à son tour. Comme une traînée de poudre cocaïnique, les animaux des travées du fond levèrent la gueule vers l’invité à plumes. Ceux des tranchées du milieu les accompagnèrent, avant que les premiers rangs ne firent de même.

Le brouhaha institutionnel laissa place à l’observation silencieuse.

Les ministres, les animaux les mieux habillés assis en bas de l’hémicycle, se contorsionnaient pour participer à la fête. Seul le président des crocos n’avait encore rien vu. Le président est souvent élu à l’ancienneté, considéré comme plus sage… chez ces bestiaux, la sagesse est proportionnelle à l’âge des artères, du moins c’est ce qu’ils font croire au reste de la jungle.

Donc, seul le président des Lacoste n’avait pas encore compris le manège des grues en train de viser le pigeon. Interrogeant de son grand menton avancé ses collègues sans l’ombre d’une explication, il se résolut à lever à son tour sa lourde tête. Il vit la volaille des villes. Et cela ne le fit pas rire du tout. Ne l’émerveilla pas plus.
Il s’offusqua. Ce n’était pas dans les procédures, pas dans les textes. Il fallait agir, et au plus vite. « Statuons sur l’intrus. Discutons. Rédigeons. Votons. »

Il décida donc de former une commission. Son but : codifier l’avenir de cet empêcheur de causer en rond.

La commission fut formée dans l’heure. Toutes les composantes politiques de l’hémicycle y participaient. Ils s’enfermèrent dans une petite salle surchauffée et se mirent au travail… enfin plutôt, ils discutèrent des heures durant.

Le pigeon se fatiguait. Il se tenait fièrement sur l’une des dorures du décor parlementaire, toisant de son petit bec ce public étonnant et inquiétant. Les crocos, phoques, grizzlis et rhinocéros, dans une file indienne encadrée par les loutres, passaient à tour de rôle pour photographier, téléphoner, imprimer l’animal. Tous se mélangeaient, se bousculaient.

« Il faut prendre une décision ! C’est à vous qu’elle incombe. Nous ne reprendrons pas le travail avant que ce problème ne soit pas résolu. A votre tâche. Vous devenez la priorité des priorités. »
Le grand sage, plus vieux des singes, avait parlé et avait laissé la commission commissionner.

Un grand cerf sans âge présidait cette réunion extraordinaire :
« Chers collègues, le problème est simple. Nous avons pu voir l’intrusion commise ce matin dans le sacro-saint hémicycle de la représentation nationale. Ceci n’est pas tolérable. Je dirai même plus : c’est intolérable. Il montre ostensiblement son oisiveté et met ainsi en danger notre labeur démocratique dont on connaît l’importance pour la survie même de notre si noble nation. On ne peut laisser ce personnage parader au-dessus de nos têtes. Pour le moment aucun drame n’a eu lieu, mais qui peut dire que cela tiendra la journée ?

Ce volatile peut en effet à tout moment piquer sur nous et nous attaquer. Rien ne prouve sa bienveillance. Il est peut-être muni d’appareil d’espionnage téléguidé par on ne sait quel groupuscule anarchiste ou extrémiste religieux. Imaginez demain un pigeon piégé venant attaquer les symboles du pouvoir de notre grand Etat.

Même sans tracer un tableau si funeste, nous ne sommes pas à l’abri d’une défécation for dangereuse mettant en péril nos réputations et ainsi nos réélections futures. L’image de vos vestons tâchés par des coulées blanchâtre diffusée en boucle sur les médias serait terrible. Voyez-vous un candidat aux plus grandes instances se justifier de cette séquence troublante, passant en cycle sur toutes les chaînes d’information continue. Qui arriverait à faire oublier un amas crasseux posé sur son crâne dégarni passant dans toutes les émissions de divertissements et autres zapping ?

Non, c’est intolérable. Je vous le dis ! Nous devons agir. J’écoute donc vos propositions. »

Il s’assit. Par habitude, la basse-cour applaudit le bel homme qui venait de bramer.

Le député ‘écololoco’ à la tête d’autruche fut le premier à glapir.
« Excusez-moi chers confrères, mais il semble que nous soyons les plus à même à répondre. En effet, notre parti est le spécialiste des volatiles en tout genre. Nous sommes tout de même le parti de l’environnement durable, protection des animaux et de tout le reste. Et nous pouvons proposer, moi et mon collègue présent à mes côtés, une proposition avantageuse pour nous débarrasser au plus tôt de l’indésirable. Il suffit de le convaincre que sa place n’est point ici. Parlementons, amadouons-le avec des graines pour commencer puis invitons-le au dehors pour discuter »

« Entièrement d’accord cher collègue, s’empressa de répondre son voisin de parti, mais ne faudrait-il pas mieux lui apporter du maïs ? Ça mange quoi un pigeon ? »

« Du maïs, excusez-moi cher collègue mais vous n’êtes pas entier ? Du maïs ! Vous voulez faire entrer les OGM dans l’assemblée. Et pourquoi pas du riz modifié tant que vous y êtes ! »

« Mais du maïs pour volatile, du maïs bio »

« Du maïs bio, vous me faîtes rire l’ami ! Et vous le ferez venir comment jusqu’au centre de Paris ? Par camion ! Il n’est pas près de venir… »

Et voilà les deux autruches qui s’affrontent du bec comme si seul leur parti existait. Ils s’aboient à la gueule, crient, s’affrontent, se réconcilient, organisent un vote démocratique, arrive à égalité, re-aboient, re-crient, se toisent, recomptent les votes, re-votent, recommencent et finalement partent de la salle pour former deux sections différentes afin de mieux démocratiser leur parti.

Les autres députés regardèrent la scène avec étonnement, effarement. La porte se referma sur les drôles d’animaux écolos et la discussion put reprendre.

Les hyènes se déchaînèrent :
« Mais comment osez-vous discuter d’une telle chose ! C’est pourtant simple. Non seulement le bestiau est entré sans autorisation chez nous, il est donc de fait un oiseau immigré, mais en plus je suis à peu près sûr qu’il n’a pas de papier. On doit faire un exemple ! »

« Mais voyons cher collègue. Un peu de retenue. Une intrusion et vous voulez envoyer les chars ! Il s’agit peut-être d’un pigeon français qui se serait égaré … » lui fit remarquer le camp des Kangourous.

« La formule est facile… encore un pauvre moineau venant des banlieues, victime de la crise et du chômage. Mais réveillez-vous. Ce sont des racailles. Il faut karsheriser TOUS les pigeons de Paris… »

« Mais vous êtes fous. Laissons ce pauvre petit et tâchons de le libérer. »

« Et pourquoi ‘petit’ ? Pourquoi pas ‘petite’ ? Parité cher ami. Il peut très bien être une pigeonne. » S’indigna une chienne en garde.

« Mais où allez-vous… qu’il soit comme ceci ou comme cela, quelle importance »

« Ah ! Si. C’est important. »

« Appelez les CRS »

« Manquerait plus qu’il soit homo le pigeon »

« Faut tout nettoyer !!! »

Le débat s’envenima. Les insultes volèrent. Les noms d’oiseau remplacèrent les possibles solutions…

Le camp des pacifistes, voulant capturer l’animal pour le relâcher, s’opposait à celui des méfiants, voulant juger l’animal voir l’inculper pour son méfait, et au camp plus tranché : « Exterminons-le !  Et vite ! Faisons une loi pour empêcher une nouvelle intrusion dans notre local ! Il en va de la sauvegarde de notre régime. »

En revanche, tous se retrouvaient sur ce dernier point. Il ne fallait pas que cela puisse recommencer. Que les voitures des pauvres brûlent en périphérie, passe encore. Mais être attaqué sur son propre lieu de résidence de travail, s’en est trop pour nos chers représentants. La réplique est donc très claire : un périmètre de sécurité devra être instauré tout autour des bâtiments de la république, et aussi des villégiatures de province. Aucun volatile non autorisé ne pourra désormais franchir les cordons de sécurité sans avoir plusieurs fois montré aile blanche.

Il restait à s’occuper du cas de pigeon récalcitrant qui était pour l’heure en train de salir les dorures de la république par ses plumes et ses ennuis gastriques.

Certains hommes à l’extérieur ayant appris cette nouvelle étonnante militaient, ‘banderolaient’ pour une pure et simple liberté pour l’animal. Après tout il avait le droit de voyager dans les couloirs de la république, comme pour tout citoyen. Mais bon, pas de souci pour les députés, ces personnes là n’étaient pas élues et n’avaient donc pas droit à la parole, alors pourquoi se fatiguer à les écouter.

La solution d’un filet fut approuvée par une certaine majorité. La finalité de l’opération n’était pas encore très claire. Liberté ? Tôle ? On verrait plus tard !

La commission vota, se congratula, se félicita pour tant de sagesse, but à la santé de la bonne solution, puis partit en rang, bien droit, annoncer leurs versions fort différentes aux médias qui se pressaient sur le perron.

Au bout de trente-cinq minutes de flashs crépitants et de micros tendus, les commissionnaires se rappelèrent de la raison de leurs travaux et vinrent annoncer les résultats de leurs discussions.
Les secrétaires et les hommes de sécurités se mirent à la recherche d’un filet assez conséquent pour la capture de Mr le Pigeon. Lui, passant d’une dorure à un siège, du siège à un chandelier, du chandelier à une balustrade, de la balustrade à une dorure, regardait s’animer cette drôle de fourmilière. C’est vrai qu’elle est étrange cette race de bipède. Les voilà se présentant avec de grands attrape-papillons. Oh ! Ils veulent jouer…

C’est donc par jeu que le volatile passa plusieurs fois à proximité des filets et des têtes lustrées de députés. Quel amusement ! Mais plus il prenait du plaisir, plus les hommes s’impatientaient, rougissaient de colère. Et ce n’est pas les caméras venant filmer les nombreux camouflets infligés à nos décisionnaires par un simple bout de volaille qui allait arranger la situation.

C’était trop. Les nerfs lâchèrent. Un jeune homme pressé, celui-là même qui quémandait la mise à mort de l’animal depuis le début de l’affaire, prit une carabine des gardes forestiers présents, gardes ministériels dans le civil, et abattu la pauvre bête d’une balle dans l’œil droit. Sa chute fut lente. Il n’eut à peine le temps de comprendre que plus jamais il ne profitera du soleil sur ses plumes, du roucoulement de son amie.

Le public amassé regarda. Les pacifistes, résignés, rangeaient déjà les filets inutiles. Certains applaudissements fleurirent. Pas nourris, mais présents.

On évacua la bête morte. Après quelques photos prises de cette belle prise de chasse, on jeta l’animal dans une des poubelles de la République. Les crocodiles purent reprendre place. Ils étaient soulagés. Pas une larme ne coula. Ils avaient déjà oublié.

Seul le petit député regardait le plafond de l’assemblée avec nostalgie. N’avait-il pas vu bouger quelque chose là-haut ? Peut-être juste quelques bribes d’un ancien espoir…

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Commentaires
N
Sur quel plan ? précise c'est intéressant. Où ai-je été 'balourd' ?
A
Personnellement, je l'aurais joué plus fine.
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